mardi 2 avril 2013

Les clichés ont (toujours) la vie dure !

C'est ce qu'on pourrait se dire à propos des méthodes mises en oeuvre par les avocats intervenants devant une Cour d'Assises.

Après l'avoir moi-même expérimenté, et pour en avoir discuté avec plusieurs confrères, il s'agit d'un domaine où les avocats sont amenés à intervenir selon des critères totalement subjectifs et entièrement déconnectés de tout raisonnement juridique rationnel.

Et pas dans n'importe quel procès puisqu'il concerne bien la Cour d'Assises, soit la juridiction qui traite des infractions les plus graves !

En effet, outre les trois juges professionnels, une Cour d'Assises est composée (en première instance) de six (neuf en appel) jurés populaires désignés par un tirage au sort.

Cette pratique tranche nettement avec l'idée qu'on peut se faire du travail d'un avocat : élaborer un raisonnement logique et cohérent, juridiquement fondé, avant de le soutenir à l'audience pour obtenir la solution la plus favorable à son client.

Pour y arriver, un avocat peut alors se fonder sur ses connaissances, ses recherches de doctrine et de jurisprudence ainsi que sur son expérience.

Que des éléments rationnels pourrait-on penser.

Et pourtant, lors de la composition de la Cour d'Assises, les parties, accusation et défense, ne sont pas inactives puisqu'elles disposent du droit de récusation qui permet de refuser un juré tiré au sort, cette récusation devant intervenir entre le tirage au sort du juré et le moment où il prend place pour siéger dans la Cour d'Assises (soit à peine une minute).

Et, c'est là que toute la subjectivité, les idées reçues et autres préjugés (un comble pour une juridiction !) entrent en jeu pour que, contrairement au principe applicable devant toutes les juridictions, les parties puissent, dans une certaine mesure, "choisir leurs juges" en un temps extrêmement court.

Ce droit de récusation s'exerce en ayant uniquement connaissance du nom, de l'âge, de la profession et, le moment venu, de l'apparence physique du juré désigné par le sort.

Il faut donc se décider en très peu de temps selon des critères très, très, très, subjectifs.... avant que le juré tiré au sort n'ait pris place dans le fauteuil qui lui est assigné.

Même si les parties n'ont pas le droit d'exposer les motifs de récusation, cette partie du procès de Cour d'Assises révèle un "savant" mélange de raisonnements et d'idées reçues.

Pour s'en convaincre, petit florilège de "raisonnements" entendus ici ou là, liste qui n'a évidemment aucun caractère exhaustif :

- récuser le premier juré tiré au sort pour impressionner les suivants et "marquer son terrain"
- récuser les hommes qui portent la barbe : ils ont des choses à cacher et ne sont pas francs
- récuser les jurés qui pourraient (trop) facilement s'identifier à la victime comme les professions exposées à l'accueil du public
- récuser les retraités : ils sont plus conservateurs (notamment dans les affaires d'infractions sexuelles)
- ne pas récuser les professions tournées vers les autres (assistantes sociales, professeurs...) plus à même d'être à l'écoute et de comprendre
- examiner le comportement des jurés à l'appel de leur nom, les plus démonstratifs étant sans doute dans l'excès
- récuser les (trop) jeunes qui n'ont pas encore assez d'expérience et qui pourraient être (plus) facilement impressionnés par les faits
- et, l'inévitable "délit de sale gueule"... qui amène à récuser un juré sur sa seule apparence physique ou ses vêtements !

On le voit, uniquement des raisonnements réfléchis et objectifs (!!!), qui peuvent varier indéfiniment selon la nature du dossier et le vécu de chaque avocat !!!

Pour finir, on rappellera simplement cette anecdote, citée par Robert Badinter à propos de la composition de la Cour d'Assises qui jugea Patrick Henry (accusé d'avoir enlevé et tué un enfant) à une époque où la peine de mort était encore en vigueur en France.

En tant qu'avocat de l'accusé, Robert Badinter exerça ce droit de récusation (selon des critères que j'ignore) et, ironie de l'histoire, il appris par la suite qu'il avait récusé un farouche militant de l'abolition de la peine de mort !

L'issue d'un procès peut décidément tenir à pas grand chose !

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