jeudi 14 février 2013

Numerus clausus en prison : innovation ou laxisme ?

Les journalistes appellent ça un marronnier : un sujet qui revient régulièrement dans l'actualité sans que ce soit vraiment nouveau.

Si ce n'était pas aussi grave, on pourrait presque appliquer ce terme aux constats régulièrement dressés sur l'état des prisons en France. Nombreux sont les rapports qui dénoncent les conditions de détention en France, notamment dans les maisons d'arrêt qui regroupent les personnes en attente de jugement ou effectuant des peines considérées comme courtes.

Même si toutes les prisons ne ressemblent pas à ces photos récemment publiées, le constat est quasi-unanime. Et, si on n'est pas encore arrivé en France à des solutions aussi extrêmes que celle-là, la question se pose évidemment : que faire ?  

Le 23 janvier 2013, un rapport parlementaire concernant les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale a été rendu public, cette diminution étant incontestablement un moyen d'améliorer les conditions de vie en détention.

Parmi les préconisations, la proposition n° 75 a fait l'objet d'une présentation médiatique importa,te : elle évoque la création d'un numerus clausus en prison, c'est-à-dire l'application du principe selon lequel on ne peut incarcérer un individu que s'il y a effectivement une place pour le recevoir de manière satisfaisante.

L'idée paraît simple et sensée : l'Etat ne doit faire que ce qu'il est capable de bien faire, autrement dit, gérer les prisons en "bon père de famille". Ainsi, au-delà d'un nombre de détenus propre à chaque établissement pénitentiaire, plus personne ne pourrait être incarcéré. Plus concrètement, toute nouvelle incarcération se traduirait alors par la libération d'un détenu en fin de peine.

Quelle idée laxiste se sont immédiatement exclamés ceux qui considèrent que ce problème est uniquement matériel, parmi lesquels un ancien et médiatique avocat général.

Et, pourtant, la lecture de ce rapport est riche d'enseignements, qui dépassent ces premières réactions passionnées, et méritent de s'y attarder un peu. Il n'est pas inutile de préciser que cette idée, spectaculaire certes, n'est énoncée qu'après de nombreuses autres et, selon la rapport lui-même, n'aurait vocation à mettre mise en place que si les autres mesures ne produisaient pas d'effets suffisamment importants à court terme.

Contrairement à ce qu'une approche rapide de ce rapport pourrait laisser penser, il ne s'agit pas de libérer purement et simplement des détenus avant la fin de leur peine pour faire de la place à de nouveaux condamnés. Il s'agit de faire automatiquement bénéficier d'aménagements de peines et d'accompagnement vers la remise en liberté les détenus dont le reliquat à purger serait inférieur à une certaine durée.

Selon le rapport parlementaire, "Le numerus clausus aurait aussi le mérite de contribuer à éviter les « sorties sèches », c’est-à-dire sans aucun accompagnement, suivi ou contrôle, qui représentent à l’heure actuelle près de 80 % des sorties de prison. Sa mise en œuvre serait facilitée par le renforcement des moyens des services de probation et l’amélioration de l’organisation du suivi et du contrôle des personnes placées sous main de justice en milieu ouvert". 

Il ne s'agit pas de défendre à tout prix ce rapport parlementaire mais simplement d'étudier plus précisément une idée novatrice au-delà des critiques superficielles et de l'inévitable instrumentalisation politique qui suit ce genre d'annonce. Et on constate alors que, sous couvert de remise en liberté, une telle proposition vise, en fait, à imposer à certains détenus un suivi de leur retour progressif à la liberté.

L'instauration d'un numerus clausus ne reviendrait donc pas à faire preuve de clémence à l'égard de personnes condamnées, mais concrétiserait l'affirmation d'une courageuse volonté de ne pas limiter la réponse pénale à la seule sanction.

Ne pas limiter l'intervention de l'Etat à la construction de prisons, mais penser à long terme et globalement la réponse pénale en développant des champs d'action moins spectaculaire mais, j'en suis certain, aussi efficace pour limiter la surpopulation carcérale.

Les inévitables difficultés liées à sa mise en place ne devraient pas suffire à remettre en cause le bien fondé et l'aspect novateur de ce numerus clausus. 

Cela ne semble pas être la position de la Ministre de la Justice qui a publiquement annoncé que cette idée de numerus clausus ne serait pas retenue par le gouvernement. Je ne connais pas les raisons exactes de cette position qui a vraisemblablement été influencée par des enjeux politiques. Qu'importe, on se dit alors que la philosophie de Victor Hugo pour lequel l'ouverture d'une école permet la fermeture d'une prison semble parfois bien lointaine....



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