vendredi 30 novembre 2018

Etre supporter, c’est (parfois) avoir moins de droits….

Alors que les supporters se sont imposés comme des acteurs à part entière du spectacle sportif, les débordements et les violences de certains d’entre eux amènent les autorités publiques et sportives à prendre des mesures coercitives pour assurer le bon déroulement des compétitions. A l’instar d’autres comportements violents, le phénomène du hooliganisme engendre ainsi une réflexion sur les limites imposées aux libertés individuelles au regard d’un objectif considéré comme légitime.
Il n’est pas pourtant pas fréquent que des affaires concernant la pratique sportive ait un parcours judiciaire qui les mènent jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Cela avait été récemment le cas dans l’affaire concernant des sportifs français qui, au regard du respect de leur vie privée, contestaient la légitimité de la réglementation en matière de lutte contre le dopage leur imposant de déclarer leur localisation pendant des périodes déterminées.

Plusieurs supporters de l’équipe de football du Danemark viennent également d’emprunter ce long chemin qui vient d’aboutir à une décision apportant un éclairage intéressant sur l’articulation des libertés fondamentale et de la défense de l’ordre public dans un environnement sportif (CEDH, 22 octobre 2018, n° 35553 / 12).


L’influence du hooliganisme

L’origine de se dossier se trouvait dans la rencontre du 10 octobre 2009 entre les équipes de football du Danemark et de la Suède. Souhaitant prévenir tout débordement et éviter les affrontements entre les supporters, les autorités danoises avaient, plusieurs heures avant le match, interpellé près de 150 supporters.

A l’issue de cette rétention, aucune poursuite n’avait été engagée contre ces personnes pourtant privées de liberté pendant plus de 7 heures. Or, la loi danoise limite la durée de ces rétention « destinée à écarter les risques d’atteinte à la sécurité et les risques de trouble à l’ordre public » à 6 heures.

Trois supporters ont alors engagé une action en indemnisation du préjudice subi à cause de cette privation de liberté illégale. Leurs recours ont toutefois été rejetés par les juridictions danoises, ces dernières retenant que « compte tenu du contexte ( l’ampleur, la durée et la nature organisée des troubles), la police avait légitimement pu croire que les requérants étaient en train d’organiser une rixe entre hooligans » (Dalloz Actualités, Dorothée Goetz, 5 novembre 2018).

Devant la Cour, les requérants se sont notamment fondés sur l’article 5 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme selon lequel « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté (…) » sauf dans des cas prévus de manière limitée et précise par la loi.


Une motivation pragmatique

La Cour écarte toutefois ce fondement en considérant que, au regard de l’objectif de lutte contre le hooliganisme, les autorités danoises avaient réussi à ménager un équilibre entre les droits des intéressés et la protection de l’ordre public. Elle a notamment retenu que « les requérants ont été remis en liberté dès que le risque imminent avait été écarté, que leur rétention n’a pas été plus longue que nécessaire pour les empêcher de continuer à agir de manière à déclencher une rixe de hooligans (…), et que cette appréciation du risque a été suffisamment réévaluée au fil des heures ».

La juridiction de Strasbourg se livre ainsi a une appréciation très pragmatique en ne faisant pas une application stricte de la durée de privation de liberté prévue par la loi. Elle considère que les précautions prises par les autorités danoises justifiant le dépassement du délai légal de rétention était suffisantes pour assurer le respect des droits l’homme.

Cette appréciation suscite malgré tout des interrogations quant au respect des limites légales visant à protéger les libertés individuelles.

En effet, la Cour de Strasbourg justifie une atteinte à la liberté en tenant compte du contexte particulier lié au risque de violence entourant la rencontre entre groupes de supporters. Elle ne se fonde pas sur des infractions avérées mais considère que leur vraisemblance suffit pour déroger aux lois en vigueur pourtant destinées à protéger les individus contre des décisions arbitraires.

Entre la nécessaire protection des libertés individuelles et le légitime objectif de protection de l’ordre public, la Cour Européenne des Droits de l’Homme semble avoir privilégié ce dernier. Compte tenu des enjeux, tant éthiques que juridiques, le débat n’est vraisemblablement pas terminé.

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