lundi 25 octobre 2021

Bagarre et responsabilité des joueurs

Pour le grand public, la pratique du hockey sur glace a régulièrement pu être associée à des images de bagarres. Les raisons ? Un sport où les contacts sont autorisés, des règles souvent méconnues et une médiatisation plutôt limitée en France où il était souvent préféré la mise en avant d’images jugées plus spectaculaires que le jeu lui-même. Cette vision était d’ailleurs confortée par la « quasi-institutionnalisation » des bagarres dans le championnat nord-américain de la NHL. Afin d’assurer la sécurité des joueurs et de modifier cette mauvaise réputation, les fédérations et ligues n’ont pourtant eu de cesse de prévenir et de sanctionner sévèrement de tels comportements. C’est pourquoi l’article publié récemment sur le site du journal « Ouest France » sous le titre « Hockey sur glace. Les bagarres sont de retour, une bonne nouvelle ? » a de quoi surprendre (www.ouest-france.fr, 13 septembre 2021). Serait-ce, pour cette nouvelle saison 2021-2022, un retour en arrière qui viserait à permettre aux joueurs de privilégier cet aspect au détriment du jeu ? L’examen de cette nouvelle règlementation appelle toutefois à plus de nuance et fournit l’occasion de rappeler aux joueurs leurs responsabilités.

Selon le règlement du jeu de la FFHG cité par Ouest-France, « Les bagarres ne font pas partie de l’ADN du hockey sur glace. Des actions dangereuses ont été répertoriées ces dernières années, qui ont ou auraient pu causer une grave blessure. L’objectif de ces aménagements n’est pas de favoriser les bagarres mais de pénaliser plus sévèrement les joueurs et actions qui peuvent être dangereuses ou qui peuvent faire dégénérer une situation. […] La pénalité minimum qui doit être infligée est 5 minutes de pénalité majeure (sans pénalité de méconduite pour le match automatique). »


Le décor est ainsi planté : la bagarre n’est pas une composante à part entière du sport. Pourtant, une idée sous-jacente demeure bien ancrée dans les mentalités des joueurs, voire des spectateurs. C’est celle de la possibilité pour chaque joueur de recourir au « règlement de compte ». Perçue comme une règle à part entière du hockey sur glace, ce comportement voudrait qu’un joueur victime d’un coup ou d’un geste jugé dangereux devrait pouvoir « se faire justice » lui-même. C’est ce que démontrent d’ailleurs les témoignages repris dans cet article. En sanctionnant très sévèrement les bagarres, la tentation d’y recourir dans le jeu (et non pas dans ces phases de bagarres qui sont par nature « hors du jeu ») en sachant que la sanction serait alors moindre, demeurerait grande et favoriserait alors un jeu dangereux.


Une bagarre loyale ?


Le rééquilibrage des sanctions encourues entre les phases de jeu dangereux et les bagarres aurait ainsi pour but d’inciter les joueurs à limiter le jeu dangereux pour « régler leur compte » durant des bagarres qui seraient alors elle-mêmes soumises à des « coutumes » censées garantir une certaine loyauté et régularité de ces combats (le fait de laisser tomber les gants pour se batte à mains nues en fournissant un bon exemple).


Si le « règlement de compte » constitue une source de débat moral et / ou sportif quant à son utilité et à sa finalité, cette vision quelque peu idyllique d’un combat « propre et loyal » demeure en tous cas en décalage avec les risques encourus par les joueurs lors de ce type d’événement. Il suffit de se souvenir de la grave blessure subie par l’ancien international Julien Desrosiers lors des playoffs 2019 pour apprécier l’ampleur de ces risques.


Les responsabilité des joueurs


Au delà des blessures, voire des séquelles, ces bagarres comportent évidemment un aspect juridique puisqu’elles sont susceptibles d’engager la responsabilité des joueurs. Ou plutôt les responsabilités des joueurs…


D’une part, une bagarre a des conséquences sportives immédiates (sanctions durant le match) et, le plus souvent, ultérieures puisque des poursuites disciplinaires peuvent être engagées. De telles procédures ne doivent d’ailleurs pas être sous-estimées par les joueurs concernés car elles peuvent rapidement être à l’origine d’une « mauvaise réputation » et influencer ainsi le déroulement d’une carrière. Il est donc primordial que le joueur concerné prépare rigoureusement sa défense, notamment en se faisant assister.


D’autre part, le fait de se battre dans le cadre d’une activité sportive ne doit pas davantage être perçu comme une sorte d’immunité pénale. Les dispositions de droit commun continuent à s’appliquer. La notion de violences volontaires, simples ou aggravées (par la notion de réunion ou d’usage d’une arme - la crosse- par exemple) peut ainsi aisément être retenue contre un participant à une bagarre, cette appréciation relevant du Procureur de la République auquel les faits auraient été rapportés (même en l’absence de plainte de la victime directe !). Ces faits pourraient ainsi déboucher sur une comparution devant un Tribunal Correctionnel, cette juridiction étant chargée de juger les délits qui sont des infractions punies jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.


Enfin, du point de vue civil, l’engagement de la responsabilité d’un joueur ayant causé des blessures au cours d’une bagarre peut aussi l’amener à devoir indemniser les préjudices subis par son « adversaire ». Au delà du préjudice physique (qui comporte lui-même plusieurs aspects), cette indemnisation peut aussi comporter un volet moral et financier.


Le constat juridique est ainsi clair et méritait d’être rappelé : participer à une bagarre, même dans un match, n’est pas un acte neutre et peut entraîner d’importantes conséquences qu’il est souvent difficile de mesurer dans les moments de tensions sportives provoquant de tels incidents.


Il n’en demeure moins que la modification de ces règles pour la nouvelle saison n’est donc pas (et ce ne pouvait pas être) une nouvelle possibilité (voire incitation) pour les joueurs de laisser libre cours à leurs instincts de bagarreur.


Les (véritables ?) amateurs de hockey sur glace ne pourront que s’en réjouir !


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